Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
La nouvelle est tragique pour tous les plafonneurs de tartines : Michele Ferrero, le créateur du choco Nutella, vient de mourir. L’homme qui a uni le chocolat et la noisette pour le meilleur (un peu) et pour le pire (surtout), l’homme qui a réconcilié les enfants avec le pain et le chapardage à la cuillère, l’homme qui a fait fortune en écoulant plus d’huile de palme que de cacao dans le gosier des consommateurs, s’en est allé au paradis des idoles des gourmands et des obèses. Il est parti probablement rejoindre ses collègues moins connus, voire totalement inconnus, que sont Monsieur Kwatta et Monsieur Pastador, deux de mes grands amis d’enfance.
Mais, quel que soit mon chagrin face à la disparition de celui qui aurait mérité le Prix Nobel de Chimie pour ses magnifiques travaux sur la fusion comestible du sucre et de la graisse, et sans vouloir en remettre une couche (avec un créateur de choco, ce serait se moquer), je voudrais profiter de son décès pour dénoncer un désastre qui met, chaque matin, l’intégrité physique et mentale de milliers de personnes en danger : le fond du pot de choco. Je ne sais pas quelle perversité a amené Michele Ferrero et tous les fabricants de choco du monde à remplir les pots jusque dans le fond, mais en récupérer les dernières bribes de contenu sans s’en mettre jusqu’au coude, c’est cent fois plus difficile que sauter d’un bond dans son slip sans toucher l’élastique, à quatre-vingts ans, avec deux hanches en titane.
Est-ce la honte, est-ce la peur, personne n’a jamais osé évoquer ce calvaire. Moi, aujourd’hui, je brise la loi du silence. Quand j’entame un pot de choco, je suis rongé d’appréhension à l’idée qu’un jour, pas très éloigné, il faudra le finir. Et quand le moment fatal arrive, je vibre d’exaspération difficilement contenue. Quelle abjecte malfaisance a poussé les fabricants de choco à concevoir cette pâte à la couleur tellement immonde qu’elle a fait pouffer des générations d’enfants, juste assez liquide pour qu’elle ne tienne pas sur le couteau ? Quelle visée maléfique les a convaincus de conditionner leur choco dans un pot dont la hauteur est juste supérieure à la longueur de la lame de mon couteau ? Je n’en sais rien, mais quand je plonge mon couteau dans le pot, il y a plus de choco sur son manche et sur ma main que de pellicules sur les épaules des Jackson Five, c’est dire. Sans compter la dernière portion de choco qui me nargue au fond du pot, de préférence bien au centre, là où elle est la plus difficile à atteindre. Il faut le dire, le choco, c’est pire que tous les chipotages financiers de tous les hommes politiques socialistes et libéraux réunis : on a les mains sales, mais ça se voit.
Au fil du temps, cette énorme frustration m’a poussé à nourrir une haine indicible à l’égard des mangeurs de jambon, indéfectiblement sourds à la douleur des mangeurs de choco. Jusqu’à ce que je rejoigne leurs rangs ! Maintenant, je maudis les fabricants de jambon qui ont inventé la couenne qui ne se retire qu’en emportant la moitié de la tranche. À chacun son tour !