Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Comme disait un ami fonctionnaire poussé vers la retraite anticipée, après quarante ans de mise en disponibilité : « Si j’étais courageux, ça se saurait ! ». Moi, c’est pareil. Je tiens, par conséquent, à lancer un message solennel à tous les apprentis tueurs de dessinateurs provocateurs. Je le reconnais, j’aime rigoler, je suis même un boute-en-train assez apprécié par les dépressifs, je me moque de temps à autre sans le faire exprès, mais si votre commando vous égare, un jour, du côté de ma ville de Binche, ne sonnez pas à ma porte : je ne sais pas dessiner. Je n’ai jamais su dessiner. Pour vous dire, un jour où mes copains de classe ont découvert le portrait de ma maman que j’avais dessiné pour son cadeau de fête des mères, ils m’ont tous souhaité de devenir orphelin, tellement elle était monstrueuse.
Pas la peine de vouloir m’assassiner donc, je ne sais pas dessiner. Par contre, sans vouloir dénoncer, ma voisine Fernande, elle, elle dessine bien. J’ai, par exemple, vu personnellement, un jour, en allant lui ramener ses soutiens-gorge à baleines qui s’étaient envolés dans mon jardin, qu’elle avait très bien dessiné les anneaux olympiques sur sa table de cuisine avec le fond de sa tasse de café. Alors, pourquoi pas des caricatures insultantes ?
Sans vous commander, messieurs des commandos, venez la punir. Ne soyez pas surpris lorsqu’elle ouvrira la porte : elle porte la barbe comme vous. C’est sans doute un camouflage hormonal pour amadouer les islamistes. Ça devrait également vous faire plaisir, elle est toujours en burqa. Mais c’est un modèle spécial en lycra (pour déclencher sa transpiration qui est une punition divine) et cette burqa ne lui cache pas le visage, vu que voir sa tête déclenche moins l’excitation sexuelle que de l’imaginer si elle est cachée.
Une fois entrés chez elle, vous ne pourrez pas massacrer Fernande tout de suite, comme chez Charlie Hebdo. Elle ne voudra pas. Et chez Fernande, terroristes ou pas, c’est elle qui commande. Vous devrez d’abord retirer votre cagoule et la lui donner pour qu’elle l’accroche au porte-manteau. Ensuite, vous devrez dire : « Bonjour, Fernande ! » ; elle est très à cheval sur la politesse. Après ça, vous devrez déposer votre kalachnikov dans un coin pour ne pas salir son carrelage ; le sang, comme elle dit, « c’est difficile à ravoir ». Vous boirez ensuite le café qu’elle vous servira (chez Fernande, on n’y échappe pas, c’est sacré comme vos croyances) et je vous conseille d’y ajouter du sucre, ça aide à faire passer le goût, parce qu’elle utilise toujours ses vieux bas fléchés comme filtre, pour faire des économies. Quand vous aurez décidé de commencer le massacre, criez « Allahou akbar, s’il vous plaît ! » (avec Fernande, toujours la politesse) et déchaînez-vous. Faites gicler son sang, ses tripes, ses boyaux. Pas ses ovaires, elle n’en a plus. Détruisez tous ses dessins, ses écrits, ses lettres à sa sœur, ses listes de courses, les mots qu’elle colle à sa fenêtre pour le facteur… Acharnez-vous, trucidez Fernande, flinguez Fernande, zigouillez Fernande…
Et Fernande ne mourra pas. Parce que je vais vous révéler un secret : ma Fernande, c’est moi qui la fais vivre avec des histoires que j’ai dans ma tête, parce que je pense que ça peut faire rire et peut-être, soyons fous, réfléchir en riant. Fernande est immortelle. Fernande est immortelle pour tous les exterminateurs d’idées, de rires et de libertés !