Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
En tant que virtuose des médias, doublé d’un séducteur discret, puisque aucune femme ne s’en aperçoit, j’ai été atterré en découvrant le film de Sofie Peeters, cette étudiante en dernière année de cinéma qui a filmé ses déplacements dans un quartier de Bruxelles pour montrer comment elle se faisait aborder et injurier par les hommes en rue. Quelle horreur ! Pour une étudiante en dernière année de cinéma, c’est très mal filmé : les images tressautent, c’est cadré n’importe comment… Pour vous dire, on ne voit que les chaussures des gens qui l’abordent pour l’insulter. Un vrai gâchis ! On ne reconnaît personne. Après ça, on s’étonnera encore qu’on ne trouvera pas mieux à envoyer au Festival de Cannes que les frères Dardenne.
Pour montrer l’exemple à cette cinéaste débutante pas très douée, le week-end dernier, j’ai entrepris de réaliser mon propre film-témoignage sur le harcèlement en rue... en Wallonie. Et je peux vous le dire : la réaction des Wallons est beaucoup plus débonnaire que celle des Bruxellois.
J’ai d’abord essayé de démarrer mon film dans ma rue à Binche, mais j’ai dû abandonner rapidement. Lorsque je suis sorti de chez moi, habilement déguisé en décolleté affriolant et talons aiguilles, au lieu de m’insulter ou, plus logiquement, de m’assaillir de compliments, les hommes me criaient : « Hé, Dominique, tu viendras boire un verre quand t’auras fini ta Gay Pride tout seul ? ». Je n’y avais pas pensé, mais ma célébrité sous-régionale dans les bistrots était un peu dérangeante pour l’objectivité de mon reportage.
J’ai donc aussitôt migré vers une grande métropole cosmopolite, La Louvière, histoire de ne pas être reconnu. Là, les gens ont été nettement plus objectifs. Dans le bus pour y aller, déjà, personne ne s’est levé pour me céder sa place, c’est vous dire mon art de me fondre dans la foule. Et, preuve de la légendaire joie de vivre des gens de La Louvière, en rue, les insultes bruxelloises ont été remplacées par des marques de sympathie ! Pas de « chienne » ou de « salope », juste des « C’est à vous ces beaux poils-là ? », des « Tiens, voilà la poubelle pour aller danser ! » et des « Voilà Miss Monde qui revient de Tihange ! » !
Je n’ai, hélas, pas eu le temps de saisir si ces compliments étaient sincères ou pas. Un troupeau de gosses m’a barré la route, en faisant des grands gestes de coucou devant moi. Ça, c’est parce que, pour filmer en caméra cachée avec les moyens du bord, j’avais collé mon caméscope avec du sparadrap sur mon crâne et, apparemment, ça se voyait. J’aurais peut-être dû mettre une perruque. Je ne sais pas si c’est cette bousculade qui m’a déséquilibré ou mon panty trop petit qui m’entravait les jambes sous ma jupe, mais je me suis étalé à plat ventre sur le trottoir, ma fausse poitrine remontée de chaque côté des oreilles. Pour ne pas être démasqué, je me suis tout de suite enfui reprendre le bus, mes talons aiguilles dans une main, ma poitrine dans l’autre et la caméra toujours sur la tête. Et, ça va vous étonner : le chauffeur a été tellement bouleversé par ma beauté blessée qu’il ne m’a pas fait payer mon trajet. Le harcèlement en Wallonie, c’est vraiment très convivial !