Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Mon premier achat par correspondance

Le mois dernier, j’ai fait mon premier achat par correspondance et je ne vous le cache pas, je suis très déçu.  En fait, je trouvais les murs de mon living fort nus depuis longtemps et j’ai lu dans le journal qu’un tableau était à vendre.  Alors, je l’ai commandé par téléphone.  C’était aux États-Unis, à une firme inconnue qui s’appelle Sotheby’s (je ne connais pas plus que vous, mais ça a l’air d’être un peu comme un IKEA par correspondance). 

 

J’ai reçu ma commande la semaine passée : sincèrement, ça ne va pas du tout.  C’est un tableau qui a été peint par un type dont je n’avais jamais entendu parler, Edvard Munch (même pas un américain, un norvégien, paraît-il, c’est vous dire si ça sent déjà l’arnaque), et ça s’appelle apparemment « Le Cri ». Je ne suis pas capricieux, ni exigeant sur la qualité, mais quelle horreur ! Une espèce de rasé qui se tient les oreilles (genre skinhead qui a mis le son trop fort dans son Ipod), très mal dessiné, avec, autour, plein de bariolages de couleurs.  On se demande quand même à quoi a songé ce type en peignant ce tableau.  Et après, il s’étonnera qu’il n’en vendra pas un seul.

 

En tout cas, pour chez moi, c’est très mal parti dès le début.  La livraison d’abord.  Comme ils n’avaient pas mis d’indication « Fragile » sur le colis, le facteur l’a plié pour le mettre dans la boîte aux lettres.  Bon, je ne suis pas super méticuleux, il y avait un pli dans la toile, quelques morceaux de peinture qui avaient sauté, soit.  Ne chicanons pas ! Je n’allais pas le remballer pour encore attendre des semaines avant d’en recevoir un autre, je sais comment ça va avec les échanges.  Ma voisine Fernande m’a proposé de donner un petit coup de fer à repasser pour que la trace de pli ne se voie pas ; j’ai dit oui. Et grosso modo, ça a été.  Bon, si on regarde de près, on voit bien que la toile a un peu bruni par endroits et que la peinture a légèrement fondu çà et là avec la chaleur, mais tant pis, l’important, c’est que ce soit décoratif.  Et pour les éclats dans la peinture, un petit coup de pinceau et on n’y voyait presque plus rien.

 

Ensuite, le cadre lui-même, quelle mocheté ! On aurait dit un truc retrouvé dans le fond d’un grenier.  Heureusement, j’ai eu un trait de génie.  J’ai arraché le tableau de son cadre et j’ai fixé quatre lattes.  Et je n’ai pas chipoté.  Pas une vis, pas un clou, juste de la Superglu sur le bord du tableau et hop, le tour était joué.  Le tableau est un peu plus petit, mais ce n’est pas plus mal, ça prend moins de place.  En plus, comme ça, la signature est cachée ; on ne voit plus que ça a été peint par un Norvégien et pas par un Américain.

 

Le seul hic maintenant, c’est que je n’aimais que le cadre.  Les couleurs du tableau étaient vraiment trop criardes pour chez moi.  J’ai donc été vite chercher la bombe de peinture blanche que j’avais utilisée quand on avait accroché ma voiture sur le parking de Cora et j’ai caché tous ces traits de toutes les couleurs qui entourait la tête sur le tableau.  Ce n’est pas pour me vanter, mais ça donnait tout de suite autre chose.  Et c’est au moment où j’allais enfin profiter d’un tableau qui avait un peu d’allure que j’ai trouvé le bon de livraison.  Et là, surprise ! Il y avait une gigantesque erreur informatique.  Ils me l’avaient facturé 120 millions de dollars ! Là, c’en a été trop : j’ai fait ni une, ni deux, je leur ai remballé leur croûte vite fait aux États-Unis.  Et j’ai indiqué sur le colis : « Pour ce prix-là, tu me l’as amené à la nage ? ».  Je serais curieux de voir leur tête quand ils le recevront !

 


Created by pixFACTORY