Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Soyez courageux si vous n’avez pas encore appris la nouvelle : Paul, le poulpe qui prédisait les résultats des matchs de la dernière coupe du monde de football, est mort. À deux ans et demi à peine, seul dans son aquarium : j’espère que le père du petit Younes a un bon alibi ! On a beau dire, en tout cas, la mort de Paul a laissé un plus grand vide que celle de Céline Dion qui, elle, malheureusement, au même moment, perdait les eaux en chantant au lieu de mourir en couche. Moi qui ne sait prédire que les résultats des diables rouges, sauf quand ils gagnent (comme mercredi), cette disparition de Paul m’a tellement bouleversé que j’ai décidé de me rendre à ses funérailles. En plus, vu son cadre de vie, ça me permettait de joindre l’utile à l’agréable en souhaitant aussi, symboliquement, un joyeux anniversaire au petit Grégory qui aurait eu tout juste trente ans cette année. On est sentimental ou on ne l’est pas !
Je n’ai pas la prétention d’être le seul ici à avoir déjà assisté aux funérailles d’un poulpe, mais c’était très émouvant. Et très long ! Surtout que Paul avait demandé d’être incinéré. Comme, forcément, il était mouillé (même les seiches ne sont jamais sèches), quand on a fait glisser sa dépouille dans le four du crématorium, ça a brièvement crépité puis, ça s’est éteint. C’était embarrassant ! On a eu beau mettre des Zip et remettre des Zip, ça ne voulait pas reprendre. Le sponsor de Paul, le patron des magasins Wibra (logique pour un poulpe !), a même dû aller chercher son sèche-cheveux (moi, je n’en ai pas) pour activer les braises. Finalement, il a fallu quatre heures pour brûler le corps, ce qui a été atroce pour tout le monde. Parce que, quand la crémation de Paul a enfin commencé, vers midi, ça a rappelé instinctivement à tout le monde l’odeur des calamars frits et, sans le vouloir, on s’est tous mis à baver. Et je peux vous dire que c’est très voyant des traces de salive sur un costume noir !
Mais le plus dur restait à venir : présenter mes condoléances à la famille. Il y en a peut-être parmi vous qui ont l’habitude, mais moi, je ne savais pas quel tentacule leur serrer. Alors, pour ne pas commettre d’impair, j’ai décidé de les leur serrer toutes. Ça m’a pris sept heures. En plus, ça ralentissait beaucoup, à cause des ventouses qui collaient à chaque fois à ma main. Et je ne vous raconte pas les suçons de ceux qui me prenaient par le cou.
À la fin, comme tout le monde s’impatientait dans la file derrière moi, j’ai été obligé de tirer au sort le tentacule que j’allais empoigner. C’était très gênant, parce qu’il y avait des mauvais perdants qui disaient que je trichais. En tout cas, si quelqu’un parmi vous ne s’est jamais retrouvé à chanter « Un petit cochon pendu au plafond » dans une file de condoléance, il peut me jeter la pierre. Mais, s’il vous plaît, à une seule main !