Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Quand on est un visionnaire comme moi au point d’être surnommé « le Nostradamus de Binche (et grande banlieue) », ça a parfois ses inconvénients. Lorsque j’ai appris que Bart De Wever avait gagné les élections en Flandre, j’ai immédiatement pris la mesure d’urgence qui s’imposait : j’ai fait des réserves pour préparer la guerre civile qui s’annonçait. J’ai donc aussitôt filé vers le supermarché le plus proche. Par chance pour moi, personne n’avait pressenti la menace ; tous les clients continuaient à faire leurs courses normalement. Les gens n’ont vraiment pas le nez fin, hein ! Égoïstement, je n’ai rien dit à personne et, paquet par paquet, magasin par magasin, j’ai réussi à planquer discrètement chez moi trois-cent-cinquante kilos de sucre, quatre mille briques de savon et un dictionnaire de néerlandais pour le cas où il faudrait dénoncer une amie, je ne sais pas comment on dit « coucher » et « tondre » en flamand.
Je ne suis pas un spécialiste des guerres civiles (c’est ma première), mais une de leurs caractéristiques, c’est qu’elles ne commencent pas fort vite. Et les provisions sur les tables, sur les armoires, sur les chaises et sur les fauteuils, à la longue, ça devient encombrant. Et fatigant. Ça fait quand même presque six mois maintenant que je vis debout parce qu’on ne sait plus s’asseoir chez moi. J’espère que je serai reconnu comme invalide de guerre si j’attrape des varices. Sans compter les frais supplémentaires d’électricité puisque je dois allumer les lampes jour et nuit, à cause des piles de caisses posées sur les tablettes des fenêtres, jusqu’au-dessus, qui empêchent la lumière du jour de passer.
Et celui qui râle le plus que la guerre civile n’a toujours pas eu lieu, c’est mon fils. Tout ça parce que, pour anticiper sur la date de péremption de mes provisions, j’ai dû commencer à les consommer. Alors, depuis deux semaines, je sucre tout (les légumes, les frites, la soupe, la viande…) mais pas trop, parce que ce serait quand même un comble que j’attrape le diabète en mangeant du steak. Pour varier les goûts et continuer à épuiser les provisions, je cuisine même parfois un peu au savon. En cachette et sans goûter avant de manger, parce que, sinon, mon fils s’en rend compte, à cause des bulles qui sortent de ma bouche !
Heureusement, tout ça va bientôt changer. Hier, j’ai envoyé une lettre à Bart De Wever pour dénoncer ma voisine Fernande qui dort avec un berger malinois parce que je déteste sa permanente avec ces boucles décolorées, tellement serrées qu’on dirait la moquette du living de ma grand-mère quand son chat a vomi dessus. Et quand les premiers combattants flamands viendront pour la tondre, la semaine prochaine sans doute, je leur offrirai une tasse de café. Et je n’espère qu’une seule chose : qu’ils ne boivent pas leur café sans sucre !