Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Ma visite chez les mineurs chiliens

Quand on est une grande vedette comme moi et que le malheur éclate à l’autre bout de la terre chez des étrangers à qui on peut apporter du réconfort grâce à sa bonne humeur contagieuse, on fonce.  Lorsque j’ai appris que trente mineurs étaient bloqués au Chili, pendant plusieurs mois, à 750 mètres de profondeur, je n’ai donc fait ni une, ni deux (ni plus d’ailleurs, ça m’aurait retardé) et je suis parti leur apporter mon soutien (c’est une image), au nom des anciens charbonnages wallons.

Pour éviter de devoir attendre qu’ils creusent le puits, je suis passé sous terre par les galeries du charbonnage de Bois-du-Luc tout près de chez moi et j’étais sur place en moins de deux heures.  Ça a été plus vite que pour faire Binche Nord - Binche Sud avec la SNCB ! Lorsque j’ai débouché en cortège, tout seul, au bout de la galerie en jouant « Jeux interdits » à la flûte indienne pour les égayer, les mineurs ont été un peu surpris.  Surtout que, comme ils regardaient tous en l’air, guettant l’ouverture du puits, ils n’avaient apparemment pas reconnu que c’était moi.

Je rassure immédiatement toutes leurs épouses qui me lisent éventuellement ici : ils vont bien !  En tout cas, je suis formel : ils n’ont pas faim ! En arrivant, je leur ai tout de suite donné à chacun une couque de Dinant offerte par l’Office des Produits Wallons : ils me les ont toutes rendues.  En fait, sur place, ils s’amusent beaucoup.  Pour passer le temps, ils alternent deux jeux pendant toute la journée : colin-maillard et cache-cache.   Colin-maillard est assez facile pour eux car, vu le noir complet qui règne dans la mine, ils n’ont pas besoin de se bander les yeux.  En revanche, pour le jeu de cache-cache, ils sont très découragés : ils se sont beaucoup plaints qu’ils sont vite pris parce qu’il n’y a pas beaucoup de cachettes.  Il y en a même un ou deux qui boudaient et qui ne voulaient plus jouer.  Heureusement, j’avais prévu ce problème et je leur ai donné un jeu de pétanque (symbolisant les boules de l’Atomium) offert par la Région Wallonne pour qu’ils puissent se détendre, en faisant un peu d’exercice. Peut-être que je n’aurais pas dû ! Ces gens ne savent pas s’amuser.  Après quelques essais, ils n’ont plus voulu jouer, soi-disant qu’on se blesse facilement à la pétanque dans le noir, alors qu’il suffit de faire un peu attention et d’écouter où la boule va tomber.

Pour les calmer, je leur ai raconté l’histoire de la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle, en leur expliquant qu’au pire, s’ils mouraient tous les 33, ce ne serait pas grave à côté des 262 morts de chez nous.  Bizarrement, ça ne les a pas trop apaisés.  Je l’ai découvert : ces gens sont plus nerveux chez eux dans une mine que chez nous, quand ils vendent leurs pulls barbouillés d'horribles dessins de vomi dans les piétonniers.  J’ai juste eu le temps de revenir seul par la mine de Bois-du-Luc, en emportant la lettre émouvante que l’un d’entre eux m’a demandé de transmettre à sa femme sans la lire.  Je vous la lis. « Chère Esmeralda ! Je te quitte, je me sens prisonnier avec toi.  Maintenant que j’ai goûté à la liberté dans cette mine, je ne peux plus m’en passer.  Adios ! Ramon »  Je ne veux pas être désagréable mais un type qui est mineur et qui s’appelle Ramon, si j’étais méchant, je me moquerais.


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