Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

La mort du président polonais

C’est notoire, mais on vient d’en avoir une preuve supplémentaire depuis peu de temps : les Polonais sont des gens tristes.  Un simple accident d’avion dans lequel périssent une centaine de personnes, parmi lesquelles leur président, sa femme et une poignée de ministres et ils sont anéantis.  Bon d’accord, à cause de cet accident, depuis deux semaines, ils n’ont plus d’État.  Mais nous, en Belgique, ça fait des années qu’on n’a plus d’État : est-ce qu’on pleurniche pour ça ?

Soyons objectifs : les Polonais sont des gens qui cherchent la moindre occasion pour exprimer leur mélancolie naturelle.  Allez, nous, on a le Grand Jojo, eux, qu’est-ce qu’ils ont ? Chopin ! Bonjour, les farandoles ! Nous, on a offert le schtroumpf et sa schtroumpfette au monde ; eux, ils ont fourgué Jean-Paul II et sa charrette.  Ces gens sont tellement tristes que, pour eux, les films des frères Dardenne, c’est « La grande vadrouille ».  D’ailleurs, où partaient ce président et ses ministres quand ils se sont crashés ? Au club Med’ en Tunisie pour souffler un peu ? En fausse délégation de travail en Californie pour faire du tourisme sur le compte du contribuable ? Non, ils allaient à Smolensk en Russie ! Le genre de bled où je suis sûr qu’il n’y a plus un bistrot ouvert après minuit, hiver comme hiver, puisqu’il n’y a sans doute jamais d’été là-bas.  Alors, vous me direz : « D’accord, mais si c’est pour skier ? ».  Mais ce n’était même pas pour skier ! Ils allaient fêter le septantième anniversaire du massacre de plusieurs milliers de Polonais par les troupes de Staline au printemps 1940.  Vous parlez de l’ambiance ! On dira ce qu’on veut (surtout moi) mais c’est qu’ils étaient déjà dépressifs avant !

Allez, imaginez que le Prince Philippe se crashe avec la Princesse Mathilde dans un avion où il y aurait aussi Didier Reynders, Yves Leterme, Olivier Maingain, Bart De Wever, André Flahaux et Claude Eerdekens.  Vous croyez qu’on passerait son temps à aller allumer des bougies Ikea sur la place du Jeu de Balle à Bruxelles ? Je ne peux parler que pour les gens de chez moi, mais je peux vous garantir que ce serait la première fois qu’il y aurait un deuxième carnaval à Binche sur l’année.  En plus, de quoi se plaignent-ils ? Ils en ont encore un en stock de président puisque le mort a un frère jumeau qui lui ressemble comme deux gouttes de vodka (ils ne boivent jamais d’eau), mais en moins mort.  Chez nous, imaginez que Philippe aurait eu un frère jumeau ! Je ne dois pas vous décrire l’émeute qu’il y aurait eu dans la file, devant le palais à Laeken, pour le noyer à la naissance.