Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Comme l’écrit avec candeur le pasteur Pandy, dans son recueil de mémoires qu’il prépare chez Luc Pire : «Les enfants, ça change vite et c’est si vite parti !». Depuis qu’il a regardé les informations dernièrement à la télévision, mon fils qui, depuis sa naissance, n’avait pourtant jamais fait de politique à la maison, même après avoir gagné la fève à la galette des rois, a décidé de faire dictateur. Il faut dire qu’avant de voir ce jour-là, au journal télévisé, des jeunes faire un truc «trop mortel» sur un prof avec un cutter dans une école de Ghlin, il n’avait jamais compris ce qu’il pouvait faire avec le sien qui traînait, depuis trois ans, dans son plumier.
Depuis que mon fils fait de la politique, beaucoup de choses ont changé à la maison. Par exemple, ses devoirs scolaires vont beaucoup plus vite. Il m’a demandé de les faire pour lui. Avec son cutter. J’ai failli le lui refuser, mais il sait qu’il n’y a pas de place dans les centres fermés. Et moi aussi. Alors, je les fais. Qu’est-ce que les élèves sont exigeants de nos jours ! Il m’oblige à recommencer quand il n’y a pas assez de fautes d’orthographe. Avec son cutter ! Il me dit que ce ne sera pas assez crédible. C’est dur d’inventer des fautes d’orthographe quand on est allé à l’école à l’époque où les professeurs vous interdisaient de faire des fautes au lieu de vous apprendre à en faire. Alors, j’essaie, j’invente ; dans sa dissertation, je mets un «y» à «viol» ou un seul «l» à «fellation». Dans sa classe, ce sont les élèves qui choisissent les sujets. Avec leur cutter !
Au niveau des repas aussi, le cutter a changé notre vie : on se partage tous les jours une pizza. C’est lui qui a décidé. Et c’est lui qui la coupe. Avec son cutter. Ça commence à me lasser, les pizzas. Surtout, qu’il a décidé que, dans le partage, lui, il mange l’intérieur et moi, les croûtes. Il dit que, pour lui, c’est comme ça un repas plus équilibré. Parfois, pour rire, il me demande si je préfère des croûtes de pizza quatre fromages ou de pizza aux fruits de mer. Et après, on rit fort ensemble, mais moi, c’est à cause du cutter.
Heureusement, depuis que mon fils fait dictateur, je suis plus reposé. Il faut dire qu’il m’envoie coucher, tous les soirs, juste après les Simpson. C’est grâce à ça que je me suis rendu compte que son lit-cage est peut-être devenu un peu petit. Depuis qu’il m’oblige à y dormir, je dois faire passer mes pieds entre les barreaux et ça croque fort les chevilles, quand on se retourne machinalement pendant la nuit. Malgré cela, je n’en veux pas à mon fils. Le roi Albert II m’a dit : «Il ne faut pas s’inquiéter : mon fils aîné aussi a fait une petite crise d’adolescence !» Ça ne m'a pas vraiment rassuré !