Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Désolé pour tous les Ch’tis qui m’accuseront peut-être, moi, Binchois, de «mette min nez dù qu'un tchien y mettrot pas s'queue», mais j’en ai définitivement marre d’entendre parler du film «Bienvenue chez les Ch’tis». Maintenant que les producteurs de cinéma ont débarqué dans le Nord pour faire passer les gens pour des comiques, ça va bientôt être notre tour, à nous, les Belges.
Je lance donc un appel à vous tous, chers compatriotes tristes et dépressifs : le cinéma des frères Dardenne est en danger. Car, soyons réalistes : maintenant, à cause de «Bienvenue chez les Ch’tis», quand les gens verront, sur les écrans, une fille mère, ex-prostituée, sans papier se faire violer, derrière le haut fourneau 6 de Seraing, par un chômeur apatride toxicomane (à l’arrière d’une mobylette, parce qu’il n’a même pas de quoi se payer une voiture volée), ils se taperont sur les cuisses comme devant un vulgaire Laurel et Hardy, en entendant «Et han, et han, tu la sens ma grosse poutrelle ?». Et aussitôt, des touristes charentais viendront, par cars complets, filmer la coulée continue de Chertal, en s’exclamant que c’est plus beau que les illuminations de la Tour Eiffel et ils surnommeront le «Manneken Pis», non plus «biloute» mais… «grosse poutrelle» !
Nous aussi, on pourra alors vendre nos excédents de stock de sirop de Liège et de fromage de Herve, comme les Ch’tis écoulent (et, dans «écouler», il y a «couler») leur Maroilles qui fait regretter à leur conjoint de ne pas plutôt les embrasser sur les pieds après le repas. N’en venons pas encore à cette extrémité mais… alors, qu’on nous lâche avec «Bienvenue chez les Ch’tis» ! Moi, je n’ai pas envie de me faire traiter, dans quelques semaines, de «grand dépindeux d'andoulles» avec un «nez à ar'piquer des porions» qui «s'rot in raque sur eune crotte ingelée». Je n’ai pas envie qu’on dise de ma mère qu’«elle est belle comme un oignon, in peut nin l'arwettier sins braire», de mon fils et moi que nous sommes des «rudes goulaffes» parce que l’un «mingerot sul tiête d'un pouilleux» et l’autre «mingerot un vieux d'l'hospice avec ses godasses», ni surtout de l’indécrottable fêtard que je suis qu’«i avo eune tiete à pas chucher des glachons» parce qu’«i y a eune déchinte que j aim'ro pas armonter à vélo». Moi, en tout cas, je le dis bien haut sans «faire el Jacques», parce qu’ «i vaux mieux montrer sin cul qu'sin paquet d'toubac»: «i peuvent v'nir à l'mason, y ara du brin su l'clinche!».