Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Quoi qu’en disent certaines mauvaises langues pâteuses le mardi-gras, nous les Binchois, nous ne sommes pas tous des ivrognes qui s’enrobent dans un costume en tenture de caravane pour se saouler pendant trois jours. Moi, l’un des derniers vrais dépositaires de cette tradition héritée des Incas, j’ai profité de ce lien avec la culture sud-américaine pour partir, durant le week-end de carnaval, (je peux le révéler maintenant, puisque tout le monde se dévoile) négocier la libération d’Ingrid Betancourt.
Sincèrement, on ne dirait pas mais libérateur, c’est épuisant. Ce n’est pas pour me plaindre, mais, dans la jungle, un costume de gille, ça ne laisse pas fort la peau respirer. En plus, pour marcher trois jours, les sabots, ça protège bien des serpents, mais j’ai eu vite plus de cloches aux pieds qu’à ma ceinture. Le pire, ça a cependant été le chapeau de plumes : mine de rien, ça accroche fort dans les lianes. Sans compter que mon chapeau a très vite énervé les perroquets qui l’ont pris pour un rival. Et moi, je n’avais qu’une main pour me défendre puisque, dans l’autre, j’avais mon panier d’oranges. J’ai donc dû ramper pour leur échapper. Enfin ! Essayer, parce que, une fois à plat ventre, à cause des bosses de paille de mon costume, mes bras n’arrivaient plus à toucher le sol et je ne savais plus me relever. J’étais bloqué là depuis neuf heures, occupé à faire mes mouvements de natation, quand les guérilleros des FARC m’ont retrouvé.
Très accueillants et très bon enfant pour des ravisseurs : quand ils m’ont découvert, ils ont ri tout de suite tous très fort, sauf un qui a essayé de profiter de ma position désavantageuse pour me faire un enfant dans le dos (et ce n’est pas une image). Il faut dire que pour les amadouer, j’ai tout de suite offert à leur chef une assiette en étain avec la façade de l’Hôtel de ville de Binche que m’avait donnée le bourgmestre pour la rançon. Je n’aurais pas dû. Ils l’ont mal pris ; ils ont cru que je venais de Charleroi.
C’est grâce à ce petit malentendu que deux minutes après mon arrivée, j’ai pu voir Ingrid Betancourt. J’étais attaché à côté d’elle. Sans médire, on a fait beaucoup de foin avec cette fille… Ce n’est pas pour critiquer, mais elle n’a pas l’air très énergique. Elle est maigrichonne, pas très nette (limite malpropre, en tout cas) et – désolé, je m’attarde peut-être sur des détails - habillée avec des vêtements qui ne sont plus à la mode depuis au moins cinq ou six ans. En plus, franchement, elle ne rit pas très facilement. Immédiatement, pour la dérider un peu, j’ai essayé de lui raconter une frasque de Sarkozy. Je vous le confirme : là-bas non plus, elles ne font pas rire. Moi, elles m’ont juste permis d’être libéré le jour même. Tout seul !