Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
C’est paru dans la presse, ce n’est donc pas un secret : Batman vient de fêter ses 80 ans ! Vous qui ne le connaissez que de loin, ça vous laisse sans doute indifférents, mais moi qui le côtoie d’assez près, ça m’a fait quelque chose. En fait, sa famille l’a placé dans une maison de retraite pas loin de chez moi, mais on ne l’a pas trop ébruité pour que ses ennemis ne viennent pas empoisonner sa panade. Une chambre simple, hein ! La seule chose que sa famille a demandé, c’est qu’il puisse entrer et sortir par la fenêtre pour qu’il ne soit pas trop dépaysé.
Ce qui est triste, c’est qu’il reçoit très peu de visites. Juste, de temps en temps, Superman quand il prend un vol Ryan Air à Charleroi pour partir en mission parce qu’il ne sait presque plus voler. Par contre, Robin, c’est le silence radio. Il n’est venu le voir qu’une seule fois cette année, et c’était pour chercher ses étrennes. Il a même essayé d’avoir un peu plus, soi-disant pour payer les frais de réparation de la Batmobile qui avait été recalée au contrôle technique, mais je n’y crois pas.
Le gros problème de Batman, c’est sa tête. Aux soirées jeux de cartes, il suffit que quelqu’un sorte un joker pour qu’il lui saute à la gorge. Mais le plus désagréable, c’est qu’avec l’âge, il est devenu complètement obsédé. Quand une crise lui prend, il poursuit toutes les infirmières à plat ventre sur son déambulateur en beuglant « Chattewoman, Chattewoman… » C’est pénible, hein !
Comme on dit chez nous : « Le personnel en a une bonne avec lui. » Il ne prétend, par exemple, pas mettre autre chose que sa cape et son slip moulant, c’est une vraie corvée pour les aide-soignantes. Essayez, vous, d’enfiler à quelqu’un un slip moulant avec un lange à l’intérieur. Ça bloque, hein ! En plus, il suffit d’une seconde d’inattention pendant qu’on le change et monsieur Batman en profite pour s’enfuir, avec sa Batbistouquette à l’air. Pas facile à rattraper, le bougre. Et un incontinent qui vole, je ne vous dis pas les réflexes qu’il faut pour esquiver les munitions du bombardier.
Je le dis comme je le pense : Batman fait de plus en plus pitié à côté de Tintin. Lui, il vient d’avoir 90 ans et il pète la forme. Il a eu un petit coup de mou, mais il revit depuis qu’il a pu faire piquer Milou. Il l’a bien caché, mais il a toujours détesté ce chien. Il a essayé de l’abandonner au Congo, en Amérique, au Tibet, chez les Picaros, et ce cabot est toujours revenu. Lui, il l’a juré : le dernier défi de sa vie, c’est objectif lune. Il hurle à longueur de journée : « Je veux enfoncer ma grosse fusée dans la lune de la Castafiore ! »