Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

La température ressentie

Ceux d’entre vous qui sont plus passionnés par les cumulo-nimbus que les cunnilingus l’auront remarqué : la nouvelle mode météorologique d’aujourd’hui, c’est… la température ressentie. Quel progrès ! Avant, chez les générations d’abrutis qui ne connaissaient qu’une seule température, on croyait stupidement que, lorsqu’il faisait -5°, on ressentait -5°, les pauvres types, qu’est-ce qu’ils étaient bêtes ! Aujourd’hui, même les présentatrices météo le disent : quand il fait -5°, parfois, on ressent -2°, parfois -10° et parfois +40°, mais ça, c’est pour le type qui a la grippe ou le chat qu’on fait tourner dans la lessiveuse sur le programme « linge délicat ».

Avec la température ressentie, voilà donc dorénavant la météo personnalisée ! Médicalement, on connaissait déjà la notion de mesure de la distance de la douleur, symbolisée par l’équation « On te tire un poil du derrière, t’as les yeux qui pleurent. », place donc désormais à la notion de douleur de la température ressentie, concrétisée par l’axiome « On te tire un poil du derrière par -5°, on reste avec les doigts collés à tes fesses par le gel. »

Pour arriver à ce progrès prodigieux, il a donc fallu qu’un tordu se lève un matin et se dise : « Ce n’est pas malin de mesurer la température que les gens ne ressentent pas, je vais inventer un thermomètre à température que les gens ressentent. » Et, si ça se trouve, ce type, c’est l’arrière-petit-fils d’un autre type qui s’est levé un autre matin et qui s’est dit : « Je me demande combien de degrés il fait dans un corps humain, je vais essayer de savoir. » Et ce gars a fabriqué un prototype de thermomètre corporel d’un mètre sur deux, puis il a appelé sa femme en lui disant triomphalement : « Chou, regarde, je viens d’inventer le thermomètre médical. Ça te dérange si je l’essaie sur toi ? » Et il a repris sa recherche après son divorce, se demandant, en arrivant devant son premier cobaye : « Tiens, par où, je vais lui entrer mon thermomètre maintenant ? » C’est comme ça qu’est apparu le premier cas d’écharde mal placée.

Amis frileux, nous voilà donc dans l’ère révolutionnaire de la température ressentie dont la précision va sans doute encore progresser fabuleusement. Dans les bulletins météo, on annoncera probablement sous peu : température pour demain -5°, mais température ressentie -3° si vous êtes caché derrière un mur, 12° si vous êtes devant un barbecue, 15° si vous faites des petits bonshommes sans rire avec un marcel en Thermolactyl, 20° si vous êtes resté dans votre lit parce que vous êtes fonctionnaire et qu’on est lundi, et 27° si vous êtes couché dans la neige avec deux grammes dans le sang. Et la température ressentie sera même ultra précise en été. Exemple : température 27° sur la plage, 24° miches à l’air, et la rétraction de votre zigounette quand vous entrerez dans l’eau sera de 2 centimètres ! Quant à la température médicale, sauf invention de dernière minute : elle restera éternellement stable ! Ce sera toujours, 37° sous le bras (avec un odeur de hyène en bonus), 37° par l’entrée des artistes, si vous voyez où je veux dire, et 37° sous la langue, avec un mauvais goût en bouche, si vous vous prenez la température dans cet ordre-là !


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