Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

La malédiction des poux

Comme le reste, l’épidémie des poux de la rentrée des classes, c’était mieux avant. À mon époque, dans les cours de récré, il n’y avait que trois choses qu’on collectionnait : les billes qu’on se disputait à coups de batailles acharnées qui transformaient nos pouces en gros flageolets tuméfiés, les figurines Panini un printemps sur quatre parce qu’à cette époque, le foot, c’était à dose digeste et puis, l’incontournable, l’indémodable, les poux de la rentrée.

Les poux, c’étaient les billes et les figurines Panini des pauvres et des malchanceux. À l’époque, pas besoin d’avertissement terrorisant et culpabilisateur des enseignants, d’affiches colorées dans les couloirs de l’école ni de circulaire péremptoire imposée dans les cartables : les poux, on savait qu’ils étaient là. C’était en quelque sorte l’arrivée des poux qui annonçait le départ des hirondelles. Et pas besoin de dépenser une fortune pour les avoir : la livraison était gratuite et anonyme et les échanges aussi nombreux que dénués d’entourloupes de collectionneurs vicelards, c’était excellent pour éviter la consanguinité des poux. Pas question non plus de fanfaronner en hurlant « Regarde celui-là, je parie que tu n’en as pas des si gros ! », les poux se portaient discrètement… parce qu’ils constituaient un attribut honteux. Pas comme le caca qu’on avait fait dans sa culotte, mais presque.

L’inconvénient pour les uns et l’avantage pour les autres, c’est que les élèves n’étaient pas égaux face aux poux. Il y avait les éternels épargnés (dont je faisais partie et ce n’est que justice parce que j’étais gentil à ce temps-là) et les martyrs récurrents dont le crâne servait de champ de course à ces sémillants parasites à chaque rentrée scolaire. Pour les mères de ces victimes, le raz-de-marée de poux était une opprobre annuelle à affronter. Leur seule arme était de seriner des « Il a une tête à poux, hein, lui ! C’est incroyable, c’est chaque année… » à répétition pour essayer d’effacer la mine dégoûtée et un tantinet suspicieuse des autres mères.

Se voulant à la fois radical et rapide, le combat contre les poux qui suivait le déclenchement de l’alerte avait des allures de rituels sorciers. L’insecticide de l’époque étant sans doute plus proche du gaz moutarde de 14-18 que des sprays et shampoings d’aujourd’hui aux parfums citron, cannelle ou vanille, la méthode d’éradication généralement utilisée relevait davantage de l’artisanat. Et les esprits bricoleurs des parents pouvaient s’en donner à cœur joie.

J’avais surpris, un jour, le père d’un petit voisin, assis sur le pas de sa porte, l’enfant assis devant lui, la tête penchée. Armé d’un peigne dans une main et d’un marteau dans l’autre, il peignait scrupuleusement la chevelure hirsute de son descendant au-dessus d’un journal ouvert et écrasait chaque pou qui tombait d’un retentissant coup de marteau. Ce spectacle furtif m’avait plus traumatisé que s’il lui avait infligé une raclée, pantalon baissé sur les bottines.

Mais la technique de lutte contre les poux la plus singulière à laquelle j’ai été confronté, c’est dans la classe voisine de la mienne qu’elle s’est déroulée. Deux frères à la toison rebelle y connaissaient, chaque année en septembre, une tonte en règle et par étape. Comme des moutons que leur berger aurait libéré de leur toison par tranches. Un jour, ils apparaissaient, le bas de la nuque nue. Un peu plus tard, au gré de l’emploi du temps et sans doute des virées au bistrot de leur père, c’était l’ensemble de leur nuque qui était délestée de leur crinière, leur imposant une version très personnelle de la coiffure du Professeur Tournesol. Et ainsi de suite pour se retrouver, le zèle du paternel s’étiolant progressivement, avec la boule complètement à zéro vers Noël. Quand tous les poux, animaux sûrement migrateurs puisqu’ils disparaissaient pour un an, étaient probablement déjà partis chanter « Jingle Bells » du côté de l’hémisphère sud.


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