Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Le petit garçon de la cassonade

C’est une information qui a apparemment laissé tout le monde indifférent, sauf moi : l’organisation Child Focus a lancé une campagne de sensibilisation pour dire aux familles de garder l’espoir en cas de disparition d’un enfant, en supprimant l’image du petit garçon qui figurait sur les paquets d’une célèbre marque de cassonade vendue en Belgique. Cela fait donc trois semaines que je mange mes crêpes devant une image vide sur mon paquet de cassonade et je ne le cache pas : moi qui ai un petit cœur, je suis très inquiet pour ce pauvre petit.

Il faut dire que j’ai un lien très personnel avec lui. Ne le répétez pas aux Italiens de votre entourage, ils pédalent déjà suffisamment dans la polenta avec les résultats de leurs élections et l’élimination de la coupe du monde de leur équipe nationale dont les joueurs se traînent sur le terrain comme des anchois sur une pizza, il vaut mieux qu’ils ne pédalent pas en plus dans la cassonade, mais, moi, ce gamin, c’est celui qui me regardait gentiment à tous les repas de mon enfance quand je mangeais… des macaronis à la cassonade.

Oui, fans de messieurs Panzani, Barilla et tutti Soubry, chez ma mère, j’ai mangé des pâtes à la cassonade et elle n’utilisait que ce qu’elle appelait la cassonade « gamin ». En ce temps-là, je ne savais pas que ça méritait toutes les malédictions de la madone et toutes les vengeances de la Camorra ou de la Carbonara, mais, en plus, ma mère cuisait ses pâtes au… lait. Et moi, âme naïve, je ne tournais pas mes macaronis avec ma fourchette ; je les tronçonnais en petits bouts de quelques centimètres, pour pouvoir les tenir entre mes dents par un côté, et aspirer d’un seul trait le jus de lait à la cassonade qui s’était planqué dans le tuyau.

Et, comme j’étais un vrai pervers des macaronis sucrés, il y avait un coup tordu que je réalisais, toujours sous l’œil complice du petit gamin du paquet. Quand je me servais avec ma cuillère dans le paquet, j’attrapais les petites billes de cassonade dure. Je savais qu’elles ne fondraient pas dans les macaronis et que je pourrais les croquer ou les sucer. À l’époque, je trouvais ça encore plus agréable qu’embrasser une fille avec la langue, mais, après, j’ai changé d’avis.

Vu ma complicité avec ce gamin qui dure depuis plusieurs dizaines d’années, je voudrais donc lancer aujourd’hui un avis de recherche pour enlèvement. Si vous voyez, sur un paquet (de cassonade, de sucre, mais aussi de sauce tomate ou de parmesan, on ne sait jamais, la mafia est capable de tout), un petit garçon âgé d’au moins 50 ans mais qui en paraît 10 et de corpulence plate comme une image, prévenez immédiatement la police. Si je n’ai pas de nouvelles rapidement de ce grand ami d’enfance, je me suiciderai en mangeant des macaronis à l’aspartame.


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