Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Les gens qui ont toujours vécu pire

On a tous, parmi nos connaissances, un cousin, un copain ou un voisin qui a toujours tout mieux que les autres. C’est courant, vous dites que votre voiture fait 9 chevaux, il vous claque que la sienne a douze chevaux et l’avoine pour les nourrir. Ces vantards, on ne s’en plaint pas, on a l’habitude. Mais il y aussi la version inverse : la personne qui a toujours vécu pire que vous. Petite mise en situation. Vous croisez une amie d’enfance que nous appellerons Martine parce qu’elle a plus une tête à aller avec Patapouf à la ferme qu’avec Ken au jacuzzi. Vous ne la côtoyez plus depuis longtemps et vous vous cassez le nez (et le reste) sur elle, à l’entrée de la pharmacie où, dans l’état où elle est devenue, vous l’imaginez plus venir chercher des dragées Fuca contre la constipation que des préservatifs à la fraise. Impossible évidemment d’éviter sa conversation dans la file d’attente.

Sagement, vous vous dites, je vais éviter les sujets favorables à ses plaintes, la météo, c’est peinard. D’une voix neutre sur un ton neutre avec une tête neutre de coiffeur à domicile qui tripote les bigoudis d’une centenaire grabataire, vous dites : « Quel temps, hein ! Cinq centimètres de neige, y a longtemps qu’on n’a plus eu ça ! » Sans respirer, mais pas assez longtemps pour que vous en soyez débarrassé par asphyxie, elle vous rétorque, alors qu’elle habite à deux rues de chez vous : « Hou, mais t’as encore eu de la chance, nous, on a eu 9 centimètres. »

Vous avez envie de lui hurler que c’est sans doute les seuls centimètres qu’elle a vu de près depuis très longtemps, mais vous changez immédiatement de sujet, en ajoutant : « Ça va encore en faire des grippes, ça ! J’ai un ami qui a peut-être chopé la H1N1, Il a eu jusqu’à 39,4° de fièvre, le pauvre ! » Et la réplique tombe dans la foulée, sèche comme une toux d’asthmatique couché devant un poêle à pellets : « Hou, il peut encore s’estimer heureux. Moi, j’ai eu une grippe carabinée ; mon médecin m’a dit que c’était sans doute la H2N2, il n’avait jamais vu ça. J’avais presque 43° de fièvre. On aurait pu cuire un œuf sur mon front. »

Pour ne pas lui claquer vos cinq Knacki sur l’omelette, vous esquivez d’un habile : « Je te laisse, je vais chercher la petite fille de ma sœur à la crèche. Elle est née à sept mois, il ne faut pas qu’elle se refroidisse. » Erreur Fatale ! Les enfants, chez les femmes du modèle « j’ai toujours connu pire », c’est le sujet mortel. Elle enchaîne : « Hou, ce n’est rien, ça ! Moi, la mienne, elle est née à 4 mois par césarienne. J’ai perdu les eaux à 8h, je suis restée 24h en salle d’accouchement, le temps que mon gyné revienne de Majorque… quand il est arrivé, j’avais 32 centimètres d’ouverture. » Vous avez la tentation de lui répondre « Il est né en métro ? », mais elle vous prend de vitesse en concluant : « Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi. » Vous la coupez d’un « Bon, je te laisse. » définitif et elle conclut d’un scud mortel : « En tout cas, tu n’as pas changé. C’est toujours aussi difficile de dialoguer avec toi ! » C’est fait, elle est votre ennemi. La pire ! Et vous, vous allez mieux…


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