Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Comme disait hier matin ma voisine Fernande, en dégustant la tartine qu’elle trempait dans la sauce de sa tranche de lard de la veille : « On n’est pas riche, mais on vit bien ! » Quand j’ai appris, il y a quinze jours, que le footballeur français Franck Ribéry avait mangé, dans un restaurant, une entrecôte couverte de feuilles d’or payée 300 euros selon la police, 1200 euros selon les manifestants, je me suis dit : « Il n’y a pas que les riches qui ont le droit de faire des crottes en lingot. Je vais aller goûter ça. Au diable les varices, de toute façon, je n’en ai pas. »
Question service, dans ce genre de resto, ça fait plus de grimaces qu’au MacDo. Lorsque le serveur m’a tendu la carte, je l’ai repoussée et j’ai dit, hautain : « Servez-moi la même entrecôte que Franck ! » Et, pour éviter les mauvaises surprises au moment de l’addition, j’ai ajouté : « Mettez m’en pour 25 euros. Et du côté de la viande, pas de l’os. » Le garçon a paru surpris, mais il a enchaîné en me demandant si je voulais une sauce dessus. Par réflexe, j’ai failli répondre « andalouse », mais j’ai décliné de peur qu’elle ne me coûte plus cher que mon entrecôte.
J’ai eu raison. Quand le serveur m’a apporté ma viande avec un air de Reine Mathilde qui ramasse la crotte de son caniche dans l’allée du palais royal, je me suis rendu compte que 25 euros de ce plat, ça ne fait pas grand-chose. Je ne suis pas sûr que si j’avais pris la sauce, j’aurais retrouvé ma viande. Pour être honnête, j’ai hésité, un instant, à gratter l’or de l’entrecôte pour l’offrir à Fernande pour sa prochaine fausse dent, mais je n’avais pas pris de Tupperware pour l’emballer.
Ceux d’entre vous qui n’ont jamais mangé ce plat ne le savent sans doute pas, quand on attaque une entrecôte couverte d’or, on ne sait pas si on doit mordre dans sa viande dorée et tout avaler ensemble, ou sucer d’abord l’or et puis mâcher sa viande. Moi, j’ai compris sur-le-champ que ce serait plus facile de mélanger les deux. Et j’ai eu d’emblée le bon réflexe. Je me suis dit : « À ce prix-là, mâchons longtemps. Ça diminuera le prix du plat à la minute. » Couper la viande, ça a été plutôt vite. Vu la taille de la pièce, c’était déjà fait : il n’y avait qu’une seule bouchée. C’est le mâchage qui a été décevant.
Au bout de vingt minutes, quand vous avez mâché votre morceau à gauche, à droite et devant, le bœuf, c’est comme un Stimorol : ça n’a plus de goût. J’ai été à deux doigts d’avaler quand j’ai vu que tous les garçons de l’établissement m’observaient fixement, mais je n’ai pas craqué. Je savais qu’ils faisaient ça pour me pousser à la consommation. Et c’est là que j’ai fait jouer mon sens de l’astuce. J’ai profité d’une seconde d’inattention générale, j’ai recraché ma bouchée dans mon assiette, j’ai appelé le serveur et je lui ai dit : « C’était très bon, mais un peu copieux. Vous voulez bien m’emballer les restes pour retourner ? » Le gars n’a pas bronché ; apparemment, c’est une demande courante chez eux. Aujourd’hui, je lance donc un petit appel commercial. Je vends un bout d’entrecôte à le feuille d’or, premier propriétaire, très peu servi. Dix euros, à discuter. Footballeurs fauchés s’abstenir !