Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
La nouvelle est officielle et ça ne fait rire personne, sauf ma mère dont je n’arrive pas à me débarrasser : la pension sera allongée à 67 ans en 2030. Aujourd’hui, la question cruciale à laquelle personne n’a pensé, sauf moi, est : que faire pour occuper toutes ces personnes qui s’ennuieront dans leur maison de retraite à partir de 68 ans ? Poussé par ma serviabilité hors du commun, je viens donc de créer pour eux un nouveau concept inspiré des plaines de jeux pour enfants : la plaine de vieux. Le principe est simple : fournir aux pensionnaires des activités amusantes, adaptées à leurs capacités naturelles. Voici le programme d’une journée-type.
- Pour commencer, en matinée, à 10h30 après le lever de tous les résidents encore en vie, petite séance d’exercice physique personnalisée, sous forme de jeu : le « tribune bowling ». Les pensionnaires se déplaçant avec une tribune sont disposés par six, en triangle, dans un couloir. Un infirmier (qui a le droit de s’amuser aussi) lance chaque pensionnaire en chaise roulante sur les personnes alignées. Le gagnant du jeu est le pensionnaire en voiturette qui a fait tomber le plus de personnes à tribune.
- Après cela, afin de reprendre son souffle (s’il en reste), de 11h à midi, petite partie de « pêche aux canards maison ». Pour ce jeu, une cuvette de toilettes est volontairement bouchée avec la perruque d’une pensionnaire et remplie d’eau. Tous les concurrents y laissent tomber leur dentier et chacun doit y repêcher le sien avec une petite canne à pêche. Celui qui ne le retrouve pa est privé de repas de midi.
- À midi, un repas est servi en extérieur quel que soit le temps. S’il pleut, l’averse fait office de toilette du soir. Ce repas comprend :
- en entrée, un toast aux champignons (vénéneux et non vénéneux, distribués au hasard, il faut rester ludique)
- en plat, un moules-frites (avec frites en purée et moules concassées avec les coquilles pour éviter les pertes de temps)
- le fromage : du « Caprice des Vieux » ou du « Caprice des Langes » (suivant l'état du pensionnaire)
- et en dessert, du nougat (pour déconner).
- Enfin, durant l’après-midi, avant le coucher et l’extinction des feux prévus vers 16h (les jours raccourcissent déjà), les pensionnaires ont le choix entre trois activités.
- Pour les personnes victimes d’Alzheimer, un lâcher en ville sans papiers d’identité.
- Pour les sourds, une partie d’« autoroute maillard » où, comme son nom l’indique, le pensionnaire est lâché, les yeux bandés, sur une autoroute ; le dernier qui échappe aux voitures a gagné.
- Enfin, pour les incontinents, une « chaise percée musicale ». Pour l’équité du jeu, les concurrents seront bien sûr répartis en deux catégories : les hommes et les femmes. Il s’agit, en effet, de n’avantager personne, puisqu’il est bien connu qu’il est plus facile de tourner autour de la chaise avec sa jupe relevée qu’avec son pantalon baissé.
Bonne retraite à tous !