Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Le cadeau énervant de mes amis
Comme disait l’épouse de Vivaldi lorsqu’on lui a annoncé le décès de son mari : « Il n’y a plus de saison ! ». Cet hiver, on vient, en effet, de battre un record météorologique exceptionnel dont on a peu parlé. On peut le dire, de mémoire de téléspectateurs de la RTBF, c’était la première fois : la neige a tombé autant que les seins de Marie-Pierre Mouligneau.
Heureusement pour mon moral, mes copains de bistrot m’ont offert comme cadeau, le nouveau best-seller français, le livre « Indignez-vous » de Stéphane Hessel, 24 pages pour trois euros. Ils m’ont dit : « On s’est cotisé ; ça coûte moins cher de t’acheter ce livre que de te payer à boire. ». Et ils ont bien fait. J’ai trouvé absolument fabuleux et émouvant qu’un ancien résistant héroïque contre l’occupant nazi de 93 ans invite les gens à se rebeller contre les injustices de ce monde. Désolé, j’ai un petit coeur ! Et, sous le charme complet, je me suis tout de suite dit : contre quel fléau universel majeur vais-je m’indigner ? Pas facile pour moi qui ne peux m’empêcher de lire le monde avec les lunettes roses de l’optimisme naïf.
Je n’arrivais pas à m’indigner, jusqu’au moment où j’ai découvert sur Internet que le bouquin de Stéphane Hessel a été tiré à 800.000 exemplaires. 800.000 exemplaires ! Alors que, moi, je ne sais pas si vous le savez, je viens de publier un magnifique livre pour enfants (« Bill Chocottes, le héros qui avait peur », aux Éditions Les 400 Coups, 32 pages, 11,90 euros, en vente dans toutes les bonnes et moins bonnes librairies !) dont le tirage s’élèvera à 3000 exemplaires selon la police, 5000 exemplaires selon les manifestants, c’est-à-dire moi tout seul, merci les gars. Et monsieur l’ancien résistant de mes deux (et je ne parle pas des guerres mondiales) s’offre 800.000 exemplaires. Pour se payer quoi, à son âge, avec ses droits d’auteurs ? Des pneus hiver pour sa tribune ? Qu’est-ce que cette épave qui doit sûrement fuiter de partout vient se mêler d’écrire un bouquin au lieu de faire des parties de loto avec les vieilles momies parfumées à la naphtaline de sa maison de retraite ou de chanter « Nuit de Chine », accompagné sur un piano désaccordé par une ex-organiste d’église qui a plus de poils que lui sur les jambes ? Excusez-moi, je m’indigne, mais c’est lui qui a commencé.
Et ancien résistant ? Je ne veux pas jeter la suspicion, mais il n’a plus beaucoup de copains dont le ciboulot passe encore au contrôle technique pour prouver comment il a résisté, si vous voyez ce que je sous-entendrais si j’étais perfide. En plus, que ce monsieur Je-résiste-à-tout-sans-demander- l’avis-des-gens sache que, si j’étais allemand aujourd’hui comme il s’est évertué à l’empêcher, je roulerais sans doute en BMW Touring plutôt qu’en Opel car-jacking, que je n’irais plus voter tous les quinze jours et qu’à l’heure qu’il est, 6 millions de Flamands riches contre 80 millions d’Allemands richissimes (ou même pauvres), je suis prêt à faire l’échange. Et, tant qu’on y est, je ne veux pas pousser le résistant qu’il est vers le crématorium, ce serait se moquer, mais à 93 ans, quand on est résistant, c’est à la grippe en hiver et à la canicule en été, point à la ligne Maginot ! Alors, si vous voulez faire le pari de la vraie résistance, la résistance à ces fossiles grabataires qui foutent la merde à résister à tout et surtout aux microbes, achetez mon livre à moi : d’accord, il coûte 12 euros au lieu de 3, mais, au moins, il a des images !