Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
La canonisation du Père Damien
C’est totalement incompréhensible, immérité et je dois me pincer, mais pas trop fort, pour le croire : une fois de plus, je passe mon tour et, malgré ma vie au service du bien-être des autres, ce n’est pas moi mais le Père Damien qui a été canonisé !
Mais qui était donc ce futur saint, injustement canonisé à ma place, qui a sans doute mieux réussi le miracle de la multiplication des lépreux que celui de la transformation des lépreux en vin ? C’est bien évidemment d’abord un escroc qui, chaque année, fait vendre très cher, par des types qui n’ont même pas la lèpre, des marqueurs de mauvaise qualité qui ont le bout qui se détache comme pour rien, comme les lépreux eux-mêmes en quelque sorte. Mais c’était aussi un prêtre belge (on dit aujourd’hui flamand) qui a exercé une douzaine de métiers dont infirmier (pour soigner les lépreux), enseignant (sans doute pour apprendre aux lépreux à dire « lépreux » sans la bouche) et entrepreneur de pompes funèbres (son activité principale parce que les guérisons, ce n’est pas tous les jours, sinon, il n’y a plus de miracle et on n’a jamais son nom dans le dictionnaire).
Et justement, le lépreux, qu’est-ce exactement ? Le lépreux est un peu à la race humaine ce que la bibliothèque Ikea est à l’ameublement : un modèle qui se démantibule vite et que personne n’a envie de monter. Son nom vient du mot « lé » qui veut dire « moche » et du mot « preux » qui est le diminutif (normal pour un lépreux) de « peureux » ! (Pour les étourdis, signalons en passant que « lépreux » s’écrit toujours avec un « x » dont je vous demande de ne pas l’amputer, il a déjà assez de choses dont on l’ampute comme ça, un peu de respect !) Mais comment reconnaît-on scientifiquement un vrai lépreux ? Dans ses mémoires intitulées « Le lépreux en dix recettes et en mille morceaux », au chapitre 4 « Comment accommoder les restes ? », verset 18, le Père Damien explique que, comme le poulet bien cuit, le lépreux à point a la chair qui se détache facilement de la carcasse.
Et profitons, au passage, de ce poulet pour couper les ailes à deux croyances. D’abord, oui ! C’est étrange, mais, comme le papier hygiénique, un lépreux ne se détache jamais le long des pointillés mais lui, c’est parce qu’il n’a pas de pointillés. Et non ! C’est Léonard de Vinci qui a inventé l’hélicoptère et non pas un lépreux du moyen âge qui a perdu sa main en faisant tourner sa crécelle trop vite. Et, à ce propos, pourquoi donc, les lépreux de l’époque devaient-ils jouer de la crécelle pour annoncer leur arrivée ? Réfléchissez un peu. S’ils avaient frappé dans les mains, on n’aurait rien entendu, puisqu’ils n’en avaient plus, et s’ils avaient joué de la guitare, ils auraient immédiatement fait des rondelles avec leurs moignons. Quant à l’accordéon, s’il vous plaît, ce n’est pas risible !
Alors, nantis de ces connaissances scientifiques qui renforceront notre tolérance, à l’heure de sa canonisation, au nom du Père Damien, lépreux et non lépreux, donnons-nous d’ores et déjà tous la main et… euh… surtout, pour une fois, je vous en prie et je ne vise personne : gardons-la !