Un bon coup de Gueule

Le coup de gueule du mois

Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Mon action pour la Birmanie

Comme disait Christopher Reeves, inflexible, après son accident de cheval : « Si on veut sauver le monde, il faut se bouger ! ».  Moi qui suis spontanément moins branché Superman que nymphomanes, j’ai pourtant décidé, la semaine passée, de faire un coup d’éclat spectaculaire pour la cause birmane.  Comme je suis un peu casanier et que je ne me voyais pas, comme un kamikaze, me faire sauter alors que ça a toujours été l’inverse, j’ai décidé finalement de faire une prise d’otage chez moi.

J’ai compris que ce n’était peut-être pas fort malin, quand, après avoir barricadé ma porte, j’ai réalisé que je vivais seul.  Se séquestrer soi-même, ça ne se fait pas.  Et, si je kidnappais ma voisine Fernande, elle risquait de se faire des illusions et de ne plus vouloir être libérée.  En fait, il me fallait un symbole ! J’ai d’abord pensé à une boîte de riz, mais j’ai trouvé que séquestrer un ou deux sachets cuiseurs, ça risquait de faire un peu « terroriste radin ».  En plus, avec la tête de l’Oncle Bens sur le paquet, les Birmans n’allaient pas fort s’identifier. 

Heureusement, je savais que les deux principales richesses de la Birmanie sont le pétrole et le teck.  J’ai donc décidé astucieusement de prendre ma table de salle à manger en teck en otage.  D’abord, je vous le confirme, le teck, c’est très lourd.  On ne se rend pas compte, mais c’est dur, une prise d’otage quand on n’est pas manuel.  Rien que monter l’escalier avec ma table pour me mettre en embuscade à la fenêtre, j’avais déjà très mal au dos. En plus, dans un escalier en calimaçon, ce n’est pas facile pour tourner, surtout quand on n’arrête pas d’oublier dans quel sens on a commencé à tourner.  Arrivé à ma fenêtre, j’ai téléphoné à la police en criant « Birmanie-pulateurs ! Bir-manipulateurs ! » (c’est Bruno Coppens qui m’avait écrit mon slogan).  Au début, les policiers ne voulaient pas fort venir m’encercler, mais comme il n’y avait pas de match à la télé ce matin-là, ils ont finalement envoyé l’agent de quartier qui est accouru lentement pour m’encercler tout seul. 

Ce n’est pas pour me vanter, mais mon coup d’éclat a eu très vite beaucoup de succès dans ma rue.  En bas, mon agent de quartier - qui avait déjà dû travailler avec Julie Lescaut - avait pris le mégaphone de son délégué du syndicat libéral qui n’avaient jamais servis (« servis » au pluriel, le mégaphone et le délégué).  Il cria :
- Rendez-vous, vous êtes cerné !
Je me suis regardé dans une glace ; il mentait visiblement pour gagner du temps.  Je n’étais pas cerné du tout.  J’avais même le teint frais.
Sous la pression d’un voisin brocanteur accouru sur les lieux pour essayer de récupérer ma table, il ajouta:
- Soyez raisonnable ! Montrez un signe de bonne volonté, libérez une à une toutes les chaises !
Et j’ai compris : ce type voulait essayer de me faire bosser, moi, un vrai wallon ! J’ai préféré en rester là ! Comme dans « Birmanie », il y a « bier », en signe de solidarité avec la Flandre, j’ai plutôt offert une bière.  Comme ça, en plus, je suis sûr que je n’aurai pas de casier !


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