Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
À l’heure où l’euro fait l’Europe, où le masculin fait mauvais genre et où le féminin est toujours aussi singulier, il est une incompréhension entre les peuples qui n’a pas progressé d’un seul pas : le nombre de bises quand on se salue. Chez nous, c’est simple : il n’y a qu’une bise. Vous saluez un wallon familier, vous lui tendez la joue droite, il vous tend la joue droite, elles s’effleurent furtivement, c’est terminé. Vous saluez un flamand familier (c’est un exemple théorique), il vous tend la joue droite, vous lui mettez la main gauche, la familiarité a ses limites, c’est terminé.
En France, contrée riante délimitée au nord par la Belgique et au sud par les incendies de forêt, ce qui paraît si simple chez nous devient un casse-tête. Vous abordez une Française à la mine primesautière et à la croupe avenante, comment allez-vous l’embrasser ? En commençant par la gauche ou par la droite ? Et après combien de bises pourrez-vous recommencer à respirer ? Deux, trois, quatre ? Aussi bizarre que cela puisse paraître, à l’heure de l’euro, ça n’a toujours pas été uniformisé. Sans compter que si vous répliquez par la droite à la première bise d’une inconsciente péronnelle qui démarre par la gauche, vous pouvez vous retrouver involontairement embarqué dans une étreinte buccale hollywoodienne avec une partenaire qui risque, selon mes connaissances en la matière, d’en ressortir avec une grossesse non désirée. Et si vous avez la malchance que la jouvencelle soit, en fait, une opulente ménagère dont les sens n’ont plus été titillés depuis la dernière victoire française à Roland Garros, vous vous exposez à voir celle-ci transformer la porte de votre chambre en tas de sciure, à force d’y gratter toute la nuit.
Et, à ce propos, il y a pire si on extrapopole. Quand on roule une pelle à une Française, doit-on attaquer en tournant la langue par la gauche ou par la droite ? Et combien de tours de langues faut-il exécuter avant de pouvoir lui susurrer « baissez-vous comme pour passer la serpillière », version académique voire mondaine du pré-coïtal « Mettè-vous comme pour r’loqu’ter » ? Sans compter qu’il y a des variantes régionales dans le nombre de bises ! Alors, faut-il contrôler l’appellation d’origine de sa conquête et savoir si on va goûter à une fondante bourguignonne ou à une béarnaise, avant de lui égayer lubriquement sa pose de nettoyage ?
Il faut dire, dès à présent, non à cette nouvelle guerre des gaules ! Et, heureusement, en ce mois de juillet torride, un éclair de génie planétaire m’a fait découvrir la solution au problème inextricable de l’accolade franco-belge. Accordons à tous, Françaises et Français, le geste d’affection, désormais universellement reconnu, qui sied le mieux à notre attirance instinctive pour eux : le coup de boule !