Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Personnellement, je n’ai jamais été caricaturé, je sais le faire tout seul. Et je n’ai jamais connu Mahomet, même si, en voyant ses copains, je crois qu’on a un point commun : on n’aime pas rire. Mais quand j’ai appris fortuitement que la mode qu’on tentait de relancer en son nom était le boycott, je me suis dit que je ne pouvais pas faire bande à part.
Et maintenant, je peux l’avouer : je n’aurais pas dû. C’est dur de boycotter ! J’ai d’abord voulu boycotter le salami danois. J’ai dû faire douze magasins avant de pouvoir refuser d’en acheter. Un samedi, c’est épuisant ! En plus, je déteste le salami ; je n’en mange jamais. Mais ça ne m’a pas découragé. J’ai entamé immédiatement ma première journée de boycott. En voici le récit.
Sept heures. Le réveil sonne. Par solidarité avec le décalage horaire de Daniel Ducarme au MR qui cherche midi à quatorze heures, je le boycotte. Je ne me lève qu’à 9 heures. En hommage aux victimes du ferry égyptien qui a récemment coulé, je ne prends pas de douche. Je pue, mais je suis bien : ma conscience est propre.
Neuf heures une. J’ai faim. Je me fais un œuf à la coque que je boycotte en l’enterrant immédiatement dans mon jardin pour combattre la grippe aviaire. J’ai encore faim ! Je trouve un fond de Nutella dans mon armoire. Mais je déteste Berlusconi et les fonds de pot de choco ; je boycotte le Nutella. J’ai toujours faim !
Dix heures. Je passe chez ma mère et je la boycotte, refusant de l’embrasser, parce qu’elle ne me propose rien à manger. Je lèverai l’embargo le lendemain, lorsque je lui apporterai mon linge à laver. Il y a des moments où il faut pouvoir pardonner !
Dix heures cinq. Je rejoins mon bistrot habituel pour enfin manger. Zut ! On n’y sert pas à manger, mais seulement à boire. Par solidarité avec les malades d’Alzheimer et avec mes copains, j’avais oublié. Tant pis, je bois.
Vingt heures trente. Après un imposant tonnage de bières englouties en hommage au Plan incliné de Ronquières, je sors du bistrot. Arrivé chez moi, je dois faire pipi. Normal : par solidarité avec le prof de math récemment victime d’une agression à Seraing, je boycotte le calcul mental, parce que, comme on dit avec mes copains : « Moi quand j’en bois une, j’en pisse dix ! ». Je dégrafe mon pantalon et là, miracle religieux : mon petit Jésus apparaît. Alleluia ! Lui, je ne le boycotterai pas. Il est plus fort que Mahomet : il n’a pas attendu un caricaturiste danois pour être une bombe !