Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Je pensais que les Wallons avaient touché le fond, je m’étais trompé. Caterpillar ferme son siège de Gosselies ; c’est dégueulasse, mais ce n’est pas de notre faute à nous Wallons, on n’a jamais acheté un seul bulldozer pour planter nos patates dans notre potager. ING a décidé de licencier plus de 3000 personnes ; c’est dégueulasse, mais ce n’est pas de notre faute à nous Wallons, on ne planque pas notre fric à la banque, on le cache dans les intercommunales. Par contre, maintenant… Zeeman a annoncé la fermeture de quatre magasins en Belgique, dont trois se situent en Wallonie, et, cette fois, nous Wallons, nous sommes TOUS responsables.
Moi, je n’ai rien à me reprocher. Chaque année, systématiquement, j’ai acheté mon lot de cinq paires de chaussettes de tennis sans élastique qui laissent respirer les poils des chevilles et mes deux paquets de trois slips ergonomiques qui baillent sur les côtés des coucougnettes pour laisser passer l’air. Mais est-ce que tout le monde peut-en dire autant ? Est-ce que chacun d’entre vous peut se regarder en face et jurer devant tout le monde : « Oui, moi aussi, j’ai acheté des slips chez Zeeman. J’ai les coucougnettes gercées par le frottement à cause du bâillement des élastiques, mais j’en suis fier. » Qui a eu le réflexe civique d’aller chercher son cadeau de Saint-Valentin chez Zeeman ? À part moi ! D’accord, j’ai perdu ma femme, mais je suis heureux de mon sacrifice pour l’économie de la Wallonie.
Le pire crime que vous ayez cependant commis, bande d’assassins de Zeeman, c’est ce coup de poignard que vous avez porté dans le dos de ma voisine Fernande. Le Zeeman de Binche tient le coup uniquement grâce à elle et à ses achats incessants de tabliers qui laissent deviner ses formes qui font fantasmer… euh, pardon… qui laissent deviner ses formes, point. Qui a acheté des bonnets de nouveau-né chez Zeeman pour se confectionner des soutien-gorge en laine parce que c’est plus chaud ? C’est Fernande ! Qui y a acheté plein de pantys pour les utiliser comme filtres à café ? C’est Fernande !
Mais aujourd’hui, avec cette fermeture en série de Zeeman, pour Fernande, ce qui s’écroule, c’est surtout… son rêve de devenir mannequin. Depuis de longues années, elle se faisait grossir en secret pour avoir la taille Zeeman. Aujourd’hui, elle se laisse dépérir. Je me demande même si elle ne devient pas anorexique. Au petit-déjeuner, elle ne met même plus de beurre sur ses quatre tartines au pâté qu’elle trempe dans son café au lait. En journée, elle ne fait même plus un petit détour par sa cuisinière pour essuyer la sauce de sa viande de la veille, dans la poêle, avec un morceau de pain. Elle n’a plus que les peaux sur les os. Elle qui espérait défiler dans chaque magasin en clapettes et en cache-poussière, au milieu des rayons de joggings en promo et des pelotes de fil à tricoter, elle est anéantie.
Alors, Wallonnes et Wallons, si vous avez du cœur, mettez votre égoïsme de côté. Messieurs, achetez les slips qui baillent ; les rhumes de zigounette, ça n’existe pas. Et, mesdames, jetez-vous sur les soutien-gorge qui laissent agir l’apesanteur : évitez que Zeeman ne touche plus vite terre que vos seins. Merci d’avance pour Fernande !