Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
Aux États-Unis, pays de la justice et de l’amitié, puisque c’est là qu’ils ont inventé Zorro et Bob l’éponge, la grande mode lors des élections, c’est de dénoncer ses petits camarades concurrents à la présidence, en disant qu’ELLE a reçu les questions des débats télévisés à l’avance ou qu’IL fait rien qu’à toujours dire que toutes les femmes sont des salopes qu’on peut lever, les doigts dans le nez, même que c’est dégueulasse de mettre ses doigts dans son nez pour draguer une fille.
Bien que je n’aie pas peur qu’on me tonde à la fin de la prochaine guerre mondiale, puisqu’il n’y a plus rien à tondre, je voudrais me dénoncer tout de suite, pour le cas où j’aurais l’idée de devenir également président des États-Unis : moi aussi, j’ai triché lors d’une élection. En fait, c’était à un scrutin très important auquel j’ai pris part… en troisième primaire. Ça se passait au début de la récré de midi à l’école. À l’époque, pour faire les équipes du match de foot du jour, nous n’utilisions ni le vote uninominal à un tour, ni le scrutin plurinominal à un tour, nous utilisions le scrutin beaucoup plus compliqué du petit cochon pendu au plafond à deux tours.
Le principe de ce mode d’élection, c’était de se mettre en cercle autour du président du bureau de vote qui était celui à qui appartenait le ballon. Celui-ci entamait alors l’élection du capitaine d’équipe avec la formule légale « Un petit cochon pendu au plafond, tirez-lui la queue, il pondra des œufs. Combien en voulez-vous ? », chantée en tapant successivement sur le tee-shirt rempli de bave de tartine au choco Kwatta de chacun des candidats.
Ce jour-là, en tant que propriétaire du ballon, j’avais organisé le premier tour en toute légalité. C’est au deuxième tour que j’ai faussé honteusement le vote. Le deuxième tour, c’était quand l’enfant désigné au premier tour choisissait le nombre d’œufs qu’il voulait du cochon pendu au plafond, je sais ce scrutin était compliqué, mais c’était comme ça, la démocratie, à l’époque. Mon ami Thierry qui avait été élu pour choisir le nombre d’œufs avait dit « 20 ». Je me suis alors mis à compter rapidement (le secret était dans la rapidité), en frappant le torse de chacun de mes copains. Comme on ne prononçait jamais toutes les consonnes pour gagner du temps, ça donnait : un, eux, ois, quat’, inq, ix, ept, huit, neuf, ix, onss, douze, eize (pause pour respirer, c’était une question de vie ou de mort) quatorze, inze, eize, ix-spet, ix-huit, ix-neuf, VINGT ! C’est durant cette manœuvre électorale que j’ai truqué le résultat en disant les chiffres plus vite que je ne frappais de fois sur les poitrines… et que je me suis fait élire frauduleusement « capitaine de l’équipe de foot de la récré de midi dans la grande cour ».
Rongé par le remords d’avoir été le seul tricheur de tous les scrutins de « petit cochon pendu au plafond » du monde, je voudrais donc présenter aujourd’hui publiquement mes excuses à Thierry, à Philippe, à Christian, à Salvatore, à Bernard et à Raphaël ! Si vous êtes disponibles pour rejouer le match dimanche prochain dans mon jardin, je vous promets de poser un geste fort : je démissionnerai de mon poste de capitaine.