Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !

Les arbres des autoroutes

Je ne sais pas comment c’est ailleurs, mais, dans ma région, la grande mode, depuis quelques mois, c’est de couper les arbres le long des autoroutes. On dirait qu’il y a un fonctionnaire du département « talus » du service « espaces verts » de la Direction générale opérationnelle des Routes de la Région wallonne, section « accotements » qui est arrivé, un matin, au bureau et qu’il a démarré la conversation suivante avec son collègue :

- Marcel, j’ai eu une idée, cette nuit !

- Ce n’est pas grave, Christian. Ça peut arriver à tout le monde. Retourne te coucher, je te mettrai « malade ».

- Non, Marcel, une vraie idée : si on coupait les arbres le long des autoroutes…

- Mais ça fait 30 ans qu’on ne l’a plus fait. Ce n’est plus du tout à la mode.

- Justement ! Comme ça, on fera coup double : on fera baisser les statistiques des automobilistes tués contre un arbre et on fera monter les statistiques des automobilistes tués dans les copeaux des arbres qui n’existent plus. Le changement, c’est important.

- Génial ! Et, en plus, on ne devra plus ranger les piquets tous les jours dans les entrepôts puisqu’ils seront sur les autoroutes.

- Voilà !

- Ok, t’as combien de piquets en stock dans tous les entrepôts ?

- Je ne sais pas. Bout à bout, je peux arriver à 18-20 km.

- Nickel ! Tu me fais tout installer, tout de suite, sur l’autoroute près de chez Watrin pour ramener la circulation à une bande.

- Ce n’est pas un peu beaucoup, 20 bornes ?

- Non, t’inquiète. Comme ça, on est tranquille. On ne doit plus en remettre pendant deux ans, le temps qu’on ait coupé tous les arbres. Tu sais qu’il y a six mois de formalités pour les demander, qu’il n’y a que Jean-Marie dans le service « piquets » et qu’il a du retard, vu qu’il a sa maladie chronique qui l’empêche de venir travailler les vendredis et les lundis quand il fait beau ou quand il y a du foot le week-end.

- Et les panneaux de ralentissement ?

- Ah oui, y a ça aussi. Qu’est-ce qu’il y a sur le camion pour le moment ?

- Des 90, des 70 et quelques 50 !

- Super ! Tu les mets tous plic-ploc le long du chantier. Comme ça, on ne devra pas décharger le camion à l’entrepôt non plus.

- Tu crois que ça va plaire au chef ?

- Ben, on verra quand il reviendra de son burn out à Majorque.

- Allez, touchons du bois !

- Sacré Christian ! Toujours le mot pour rire ! Hé...

- Quoi ?

- C’est fini, hein, maintenant ! Plus une idée avant la pension !

- Promis ! De toute façon, je n’en avais jamais eu d’autre…