Pendant une quinzaine d’années, Dominique Watrin a publié mensuellement sur ce site une chronique « coup de poing » sur une sujet majeur (ou mineur) inspiré par l’actualité chaude (et quelquefois simultanément glaciale) du mois. Ces textes parfois repris sur les planches pour des cours de seul-en-scène, parfois même étudiés dans les écoles, mêlaient faits de société, vérité pas bonne à dire et mauvaise foi à peine dissimulée, le tout sous une forme courte, choc, mais incroyablement digeste. À lire ou à relire… pour le plaisir ou le déplaisir !
En matière nucléaire, la Belgique, c’est un peu comme le lendemain d’une soirée cassoulet entre copains : ça pète partout, mais tout le monde fait semblant de rien. Pour résumer, d’un côté, en Flandre, il y a la famille Doel : papa et maman Doel 1 et 2 et leurs deux gosses 3 et 4. Et, chez les voisins wallons, il y a la dynastie Tihange, avec les Riri, Fifi et Loulou de l’atome : Tihange 1, Tihange 2 et Tihange 3.
Depuis quelque mois, la coutume est que ces centrales nucléaires connaissent tour à tour des incidents, qu’on les met à l’arrêt pour un temps indéterminé et qu’on les redémarre ou pas, sans que le citoyen qui s’étonne de commencer à briller dans le noir n’y comprenne grand-chose, puisque, entre Doel X et Doel Y, ou entre Tihange numéro untel et Tihange numéro untel, on ne fait pas beaucoup la différence quand on n’est pas un familier du Loto nucléaire belge. Heureusement, le peuple est rassuré par les experts en expertise du nucléaire, copains des responsables en responsabilité de la sécurité nucléaire, qui ont l’explication magique au problème : la microfissure !
Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est une microfissure, et qui pensaient bêtement jusqu’ici qu’il n’y avait que des fissures-fissures ou des pas fissures du tout (quand on est mal informé, on est mal informé), la microfissure, c’est la fissure qui est juste entre la macrofissure et la micro-microfissure. Les suspicieux diront qu’il existe sans doute aussi la minifissure, la mégafissure et la plus terrible, la gigafissure, celle de quand il n’y a plus aucun morceau de centrale nucléaire de chaque côté de la fissure. Je leur répondrai non : dans les centrales nucléaires, il n’y a que des microfissures. Comme il n’existe que des grands méchants loups et des petits nains ! Un grand nain, ça ne fait pas nain et un petit gentil loup, ça ne fait pas peur.
La microfissure, on va dire que c’est une gentille petite fissure : ça ne fait pas fissure et ça ne fait pas peur ! Tout ça grâce à quoi ? Grâce uniquement aux cinq petites lettres de « micro », quel miracle ! Alors, pourquoi ne pas étendre le principe à tout ce qui peut fâcher les citoyens parfois réticents à accepter n’importe quoi ? Place donc désormais :
- à la micro-taxe et à la micro-augmentation d’impôt, la mesure qui fait qu’on nous prélève plus d’argent, mais que ce n’est pas grave, puisqu’on nous dit qu’on n’en a pas moins ;
- à la micro-pollution de microparticules qui fait qu’on est content de pouvoir encore respirer de l’air entre les particules ;
- au micro-changement climatique, celui qui fait qu’on peut fêter Noël en string et traverser la rue à la nage sans devoir aller en Australie ou à Venise ;
- à la micro-grève des chemins de fer, celle qui fait qu’on se dit qu’on attend son train moins longtemps que quand il est en retard, les jours où il n’y a pas de grève ;
- à la micro-augmentation du micro-parachute doré des micro-grands patrons, celle qui fait qu’on aura l’impression d’avoir un macro-salaire de macro-profiteur.
Voilà ! Et si mon idée vous horrifie, pas de panique : ce n’était qu’une micro-idée !